mardi 5 mai 2009

Quand le prêtre formera l'instituteur, par Caroline Fourest

LE MONDE | 30.04.09 | 12h54 • Mis à jour le 30.04.09 | 12h54


On assiste à un assaut sans précédent pour tenter d'affaiblir
l'enseignement républicain et laïque au profit de l'enseignement
privé et confessionnel. En principe, la République "ne reconnaît, ne
salarie, ni ne subventionne aucun culte". En coulisse, tout est fait pour
torpiller l'esprit de cette loi dès qu'il s'agit d'éducation nationale.

Dans la plus grande discrétion, tout un pan du discours prononcé par Nicolas
Sarkozy à Saint-Jean-de-Latran vient d'entrer en vigueur. On se souvient de
cette phrase dans laquelle le président plaçait le prêtre au-dessus de
l'instituteur"dans la transmission des valeurs". Depuis, il a
tenté de minimiser. Ces mots traduisent pourtant une vision de la transmission
et de l'enseignement que son gouvernement applique à la lettre.

Dans une autre partie de son discours, moins célèbre, le président
regrettait que la République ne reconnaisse pas la "valeur des diplômes
délivrés par les établissements d'enseignement supérieur
catholique". On pensait à la reconnaissance de diplôme de théologie...
Ils n'ont pas à être validés par la République puisqu'elle ne
"reconnaît aucun culte". Mais le président s'obstine. Notamment
avec l'arrière-pensée de pouvoir estampiller la formation des imams
rêvée par le ministère de l'intérieur mais dispensée par la Catho. Un
bricolage qui ne fait que renforcer l'impression d'une gestion
postcoloniale de l'islam, donc la propagande islamiste. Tout en tuant à
coup sûr l'esprit de 1905.

L'affaire est plus grave qu'il n'y paraît. Les décrets de cet
accord - signé en catimini entre la France et le Vatican le 18 décembre 2008 -
viennent de tomber. Ils prévoient la "reconnaissance mutuelle des
diplômes de l'enseignement supérieur délivré sous l'autorité
compétente de l'une des parties". Or cette "reconnaissance"
ne vaut pas seulement pour les matières théologiques mais aussi profanes.
Autrement dit, le baccalauréat ou d'éventuels masters.

L'accord feint d'appliquer une directive européenne (le processus de
Bologne), pensée pour reconnaître les diplômes étrangers, mais il change de
nature à partir du moment où il est signé avec le Vatican, pour
"reconnaître" des diplômes délivrés sur le sol français par des
établissements de l'Eglise. Ce qui revient non seulement à casser le
monopole des diplômes qu'avait l'Etat depuis 1880, mais aussi
l'esprit de l'article 2 de la loi de 1905.

Jusqu'ici, les établissements catholiques privés pouvaient parfaitement
préparer des élèves au bac, mais ceux-ci devaient passer leur diplôme avec
tous les autres. Petite astuce connue des professeurs : de nombreux
établissements privés choisissent de ne présenter que les meilleurs élèves
sous leurs couleurs et d'envoyer les autres en candidats libres pour
améliorer leur score de réussite au bac. Appâtés par des pourcentages
tournant autour de 100 %, de plus en plus de parents se tournent vers ces
établissements au détriment de l'école publique.

Le gouvernement fait tout pour encourager ce choix : démantèlement de la
carte scolaire, baisse du nombre de professeurs dans le public... Le plan
banlieue est à sec, mais on racle les fonds de tiroirs pour financer - sur
fonds publics - l'ouverture de 50 classes privées catholiques dans les
quartiers populaires. Un grand lycée Jean-Paul-II est sur les rails. Un
collège tenu par l'Opus Dei est déjà sous contrat.

Il ne manquait plus que ça : la fin du diplôme d'Etat... Justement au
moment où l'Etat annonce vouloir supprimer les IUFM, brader les concours,
et remplacer leur formation par un master que pourrait préparer n'importe
quel établissement privé. Comme ça, en plus de délivrer le baccalauréat, le
Vatican pourra ouvrir des masters destinés directement aux futurs enseignants.

Un comité 1905 vient de porter plainte devant le Conseil d'Etat. S'il
n'obtient pas gain de cause, le prêtre aura le champ libre pour reprendre
la main sur l'instituteur.

Caroline Fourest
Article paru dans l'édition du 02.05.09

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